« MANGE TA VIANDE, NON DI DJÛ ! Elle va me rendre DINGUE cette gamine, j'te jure ! » Aniès observe, avec ses yeux grands comme des billes, son père qui la réprimande. Elle le scrute dans les moindres détails : ses sourcils qui se rejoignent quasiment tellement il les fronce, ses tempes qui enflent et se vident, comme celle du poisson qu'elle a vu hier à la télé. Elle suit du regard un filet de bave qui va et qui vient entre les dents de son géniteur. Sa respiration de taureau va-t-il le casser ? Elle est sur le point de tourner la tête vers son assiette quand son père reprend : « Hé, qu'est-ce t’as à me regarder comme ça ? MANGE TA VIANDE, J'TE DIS !! »
Son petit visage se tourne en un dixième de seconde vers le reste d'agneau posé devant elle. Ses yeux s'écarquillent encore plus grands qu'auparavant. Elle inspecte minutieusement ce bout de chose... Toute la sauce a disparue en même temps que ses pâtes, il ne reste plus que ce minuscule boquet de viande tout sec, au milieu de son assiette. Sa maman l'a bien coupé, il est presque carré. Elle a retiré le gras et tout ce qu'elle n'aimait pas mais pour ce petit bout là, elle n'a pas le choix.
« ARRÊTE DE CRIER SUR LA P'TITE ! » Cool ! Maman à la rescousse ! Elle sait qu'elle ne sera pas libérée tant qu'elle n'aura pas tout avalé mais... C'est du bébé mouton ! Après avoir mangé ça, la maman-mouton va venir la prendre dans son lit pour la cuisiner à ses autres petits ! Maman va expliquer à papa pourquoi je ne mange pas. C'est elle qui m'a fait, elle me connait.
- Aniès, bébé, pourquoi ne veux-tu pas manger ?
Aniès observe, à tour de rôle, la viande, son papa puis sa maman. Ainsi de suite, de plus en plus rapidement jusqu'à ce que sa maman reprenne :
- Aniès, tu sais parler. Parle.
Son regarde s'arrête sur sa mère et elle plonge dans ses yeux en pensant « lit mes pensées, maman. »
-Aniès, parle ou mange, j'en ai marre. T'AS COMPRIS ? OU T'EXPLIQUES, OU TU MANGES !
Oh non, sa maman crie ! Très vite, elle s'exécute, elle met la viande en bouche et la mâche pendant de longues minutes. Pendant ce temps, papa et maman continuent de crier. ça leur arrive relativement souvent. Aniès n'est pas prête de s'ennuyer dans cette famille à la communication enflammée. Parfois, elle regarde ses parents. D'autre fois, elle regarde la télé.
Dans tout ce bruit, elle a du mal à se mettre à parler. Sa petite voix est bien vite écrasée dès qu'il y a quelque chose qui « fait chier ! ». De toute façon, elle aime bien le calme. Aniès, la petite princesse, adore se réveiller pendant la nuit, quand tous les bruits sont partis. C'est un des rares moments où elle s'entend penser. Et dans ces instants là, blottie dans le silence, elle se dit : « un jour, j'habiterai dans une grande maison calme... J'aurai un mari calme, un bébé calme, des chiens calmes,... Ce sera dans une ville calme, dans un pays calme. Dans tout le pays, on ne pourra que chuchoter et la police fera la chasse aux bruits... » Bercée par ses pensées, le petit trésor se rendort.
Mercredi, c'est chez mamy. Aniès aime bien sa mamy, elle crie mais c'est surtout pour rigoler. Elle cuisine bien et elle dit rarement non pour jouer. La petite chérie de la famille à hâte d'être en sa compagnie. Mais quand sa maman démarre, elle ne part pas dans la bonne direction... Pour aller chez sa mamy, il faut passer un pont mais là, elles n'arrêtent pas longer des maisons. Sa maman lui explique qu'aujourd'hui, ce n'est pas comme les autres mercredis. Sa mamy, elle la verra samedi. Aniès sent ses émotions qui s'emballent. Elle qui a attendu toute la matinée. Pour rien. Ils auraient pu, ils auraient dû lui dire avant. Son visage grimace de mécontentement. Elle ne trouve pas d'autre moyen pour montrer sa désapprobation que d'hurler NOOOOOOOOOOOON !!!
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